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Balance bénéfices/risques : la metformine en pratique clinique

Auteur : 
Pr. André Scheen
QDM - Numéro : 
Le Quotidien du Médecin N°9231
Date parution : 
Jeudi 04 Avril 2013

Les dernières recommandations internationales, soutenues par la Société francophone du diabète, ont consacré la metformine comme l’antidiabétique oral de première ligne. Mais ses indications et contreindications ont évolué ces dernières années. Les explications du Pr. André Scheen (Liège), vice-président de la SFD.

 

Le premier choix dans le diabète de type 2.

La metformine est l’antidiabétique oral de premier choix dans toutes les recommandations, celles conjointes de la Société Américaine de Diabétologie et de la Société Européenne pour l’Etude du Diabète (relayées par la Société Francophone du Diabète) (1) comme celles récemment émises par la Haute Autorité de Santé (2). Ce médicament exerce son action anti-hyperglycémiante principalement en réduisant la production de glucose par le foie, sans stimuler la sécrétion d’insuline. Il n’occasionne pas d’hypoglycémie ni de prise de poids. De plus, il exercerait une protection contre les complications cardiovasculaires et, peut-être aussi, contre le cancer. Enfin, il bénéficie d’une large expérience clinique et est disponible à un faible coût. Il est donc, incontestablement, le premier choix dans le traitement pharmacologique du diabète de type 2, en combinaison avec les mesures hygiéno-diététiques, seul ou en combinaison avec tout autre traitement antidiabétique, y compris l’insuline (1,2).

 

Minimiser les troubles digestifs.

La metformine peut occasionner des troubles gastro-intestinaux (dyspepsie, diarrhée). Il faut augmenter la posologie progressivement de façon à améliorer la tolérance. Il serait dommage de priver les patients de ce médicament par une prescription à une posologie d’emblée trop élevée, ce qui risquerait de faire arrêter (souvent définitivement) le traitement en raison de troubles digestifs inacceptables. Malgré ces précautions, environ 15 % des patients ne tolèrent pas la metformine et ne pourront donc en bénéficier. Il est recommandé d’interrompre le traitement en cas de diarrhée ou de vomissements, ce qui risquerait d’entraîner une déshydratation avec insuffisance rénale fonctionnelle.

 

Attention à l’acidose lactique.

La manifestation indésirable la plus redoutée du traitement par metformine est l’acidose lactique (3). Une accumulation d’acide lactique peut survenir en cas de production accrue (stimulation de la glycolyse anaérobie dans les situations hypoxiques) et/ou en cas de métabolisme insuffisant (blocage de la gluconéogenèse hépatique). En cas d’insuffisance rénale, la metformine peut s’accumuler et atteindre des taux tels que la gluconéogenèse est inhibée, avec risque d’acidose lactique. C’est d’autant plus le cas si la situation hémodynamique est précaire avec hypoperfusion musculaire (production accrue de lactate) et hépatique (défaut de métabolisation du lactate).

 

Constat d’utilisation en pratique.

Beaucoup de patients diabétiques sont traités par metformine alors qu’ils ont une ou plusieurs contre-indications à la prescription du biguanide selon la notice. C’est le cas de la plupart des patients âgés dont beaucoup ont une clairance de la créatinine inférieure à 60 ml/min ou encore sont à risque sur le plan hémodynamique, en raison d’une insuffisance coronarienne ou d’une insuffisance cardiaque. Pourtant, dans la pratique, les cas d’acidose lactique sont rares et il n’est pas certain que la metformine y joue systématiquement un rôle causal (3). Il existe donc un hiatus entre les recommandations officielles, restrictives, et la pratique sur le terrain, plus laxiste.

 

Balance bénéfices-risques.

Selon des études récentes, les patients qui ont théoriquement une contre-indication à l’utilisation de la metformine tirent néanmoins un bénéfice de ce traitement, y compris sur un critère dur comme la mortalité. C’est le cas des personnes avec une insuffisance rénale modérée (stade 3, clairance entre 30 et 60 ml/min), avec une insuffisance cardiaque stable, dans les suites d’un accident coronarien aigu (avec situation hémodynamique stable) ou encore chez les sujets âgés de plus de 75 ans (4). Dès lors, ne pas prescrire ou stopper la metformine en raison d’un risque hypothétique accru d’acidose lactique entraînerait plus de dommages que de bénéfices, en privant ces patients du médicament le plus efficace. Même une faible dose peut être utile.

 

Que faire en pratique ?

La metformine doit être prescrite en évaluant le rapport bénéfices-risques de chaque patient. Ainsi, en cas d’insuffisance rénale chronique stable, la metformine peut être poursuivie jusqu’à une clairance de créatinine de 45 ml/min, et même jusqu’à 30 ml/min en réduisant la posologie de moitié (1-4). Il convient cependant de renforcer la surveillance de la fonction rénale et d’interrompre le traitement en cas de tout événement aigu, notamment cause de déshydratation. La devise « primum non nocere » reste de mise, mais doit ici être interprétée intelligemment, en centrant l’approche sur le patient.

 

Références

1. Inzucchi SE et al. Diabetologia 2012 ; 55 : 1577-96.
2. Haute Autorité de Santé. Recommandation de bonne pratique 2013.
3. Lalau JD.  Drug Saf 2010; 33: 727-40
4. Scheen AJ, Paquot N. Diabetes Metab 2013; sous presse.