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Insuffisance rénale chronique : adapter les antidiabétiques

Auteur : 
Pr. Patrice Darmon
QDM - Numéro : 
Le Quotidien du Médecin N°9369
Date parution : 
Jeudi 27 Novembre 2014

La présence d’une insuffisance rénale chronique induit des contre-indications à certains anti-diabétiques et des ajustements posologiques pour d’autres. On retiendra des recommandations 2013 de la HAS qu’une coordination entre médecin généraliste, néphrologue et endocrinologue est recommandée, en particulier chez les patients avec une ClCr < 45 ml/min.

 

Entre 25 et 30 % des patients DT2 présentent une altération significative du débit de filtration glomérulaire (DFG) estimé < 60 ml/min/1,73 m2 (1). En pratique, l’insuffisance rénale chronique (IRC) est souvent méconnue et sa sévérité sous-estimée, en particulier chez les patients âgés. Selon les recommandations émises en 2013 par la HAS (2), les objectifs glycémiques doivent être modulés : HbA1c ? 7 % en cas d’IRC modérée (stade 3A, DFG 45-59 ml/min/1,73 m2 et stade 3B, DFG 30-44) et ? 8 % en cas d’IRC sévère (stade 4, DFG 15-29) ou terminale (stade 5, DFG < 15).

Pour atteindre ces objectifs, le praticien doit savoir manipuler les différents anti-diabétiques et connaître leurs contre-indications, leurs risques et les ajustements posologiques nécessaires (3). L’adaptation ne se fait pas encore en fonction du DFG estimé mais de la clairance de la créatinine (ClCr), évaluée par la formule de Cockroft, comme indiqué dans les résumés des caractéristiques des produits.

 

Les classiques

La metformine est aujourd’hui encore officiellement contre-indiquée chez les patients présentant un ClCr < 60 ml/min, en raison du risque d’accumulation pouvant être à l’origine d’une acidose lactique – surtout s’il existe de façon concomitante une insuffisance hépatique et/ou une hypoxie tissulaire. Pour autant, cette complication potentiellement mortelle s’avère au final extrêmement rare chez les diabétiques ; y compris ceux traités par metformine, et il existe aujourd’hui quantité de données soutenant l’utilisation prudente de la metformine en cas d’IRC modérée.

Les recommandations de la HAS statuent ainsi désormais que la metformine peut être utilisée sans aucune restriction tant que le DFG est supérieur à 60 ml/min/1,73 m2 tandis qu’elle peut être administrée sans dépasser 1 500 mg par jour chez les patients ayant un DFG entre 30 et 60. Lorsque la metformine est prescrite chez les patients en IRC modérée, il faudra contrôler la fonction rénale, tous les 3 mois mais aussi en cas d’événements susceptibles de l’altérer, notamment chez les sujets âgés (fièvre, déshydratation, vomissements, diarrhées, prescription d’un diurétique, IEC, ARA 2, AINS). L’arrêt transitoire reste recommandé dans les situations à risque d’insuffisance rénale aiguë, notamment iatrogène (produit de contraste iodé). La metformine doit être définitivement arrêtée si le DFG est < 30 ml/min/1,73 m2.

Les sulfamides hypoglycémiants sont pour la plupart éliminés par voie rénale, soit sous forme inchangée, soit de métabolites (dont certains sont actifs). De ce fait, chez des patients présentant une IRC, ils peuvent induire des hypoglycémies parfois sévères et prolongées. Ils sont officiellement contre-indiqués en cas d’IRC sévère et doivent être prescrits avec prudence en cas d’IRC modérée. Dans ce cas, on préférera le gliclazide ou le glipizide, qui n’ont pas de métabolites actifs éliminés par le rein, auglibenclamide ou au glimepiride.

Le répaglinide est un insulinosécréteur à demi-vie courte qui n’est pas éliminé par voie rénale. Il peut ainsi être administré à tous les stades d’IRC sans ajustement posologique, mais n’est pas pour autant dénué de risque hypoglycémique.

Les inhibiteurs des alpha-glucosidases comme l’acarbose ont un faible passage systémique et ne sont pas éliminés par voie rénale. Cependant, leur utilisation n’a pas été évaluée chez les patients présentant une IRC sévère et n’est donc pas recommandée à ce stade.

L’insuline peut être utilisée à tous les stades d’IRC mais il est souvent nécessaire de diminuer les doses, du fait de l’élimination rénale de 30 à 80 % de l’insuline circulante. En raison de la prolongation de sa durée d’action, les analogues rapides doivent être privilégiés par rapport à l’insuline rapide ordinaire.

Les inhibiteurs de la DPP4 sont éliminés à plus de 75 % par voie rénale (à l’exception de la linagliptine, excrétée à 95 % par voie biliaire mais non commercialisée en France à ce jour). Plusieurs études récentes ont montré que ces molécules pouvaient être utilisées en toute sécurité chez les patients présentant une IRC à condition d’adapter la posologie. Ainsi, la vildagliptine peut être administrée à demi-dose (50 mg/j) chez les sujets avec IRC modérée, sévère ou terminale ; la sitagliptine a obtenu une AMM à demi-dose (50 mg/j) chez les patients présentant une ClCr entre 30 et 50 ml/mn, et peut être donnée à quart de dose (25 mg/j,
forme non commercialisée) en cas d’IRC sévère ou terminale ; la saxagliptine peut être utilisée à demi-dose (2,5 mg/j, forme non commercialisée) chez les patients en IRC modérée ou sévère, mais n’est pas recommandée chez les sujets avec IRC terminale en hémodialyse.

Parmi les agonistes des récepteurs du GLP1, l’exenatide est contreindiqué lorsque la ClCr < 30 ml/mn et doit être utilisé avec prudence si elle se situe entre 30 et 50, alors que l’usage du liraglutide n’est pas recommandé si ClCr < 50. Des études sont en cours pour démontrer la sécurité d’emploi et la bonne tolérance de ces produits en cas d’IRC.

Compte tenu de leur mode d’action, les inhibiteurs de SGLT2, prochainement attendus sur le marché, voient leur efficacité antihyperglycémiante diminuer avec la réduction néphronique. Leur utilisation n’est pas recommandée en cas d’IRC modérée, sévère ou terminale.

 

Références

(1) Pornet C et al. Diabetes Metab 2011;37:152-61
(2) HAS. Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. 2013
(3) Scheen AJ. Rev Med Suisse 2012;8 :1614-20