Vous êtes ici

A la mémoire du Dr Pierre Massabie

 

Le Docteur Pierre Massabie nous a quittés il y a maintenant plusieurs mois, dans sa 92e année. Son nom ne dit peut-être rien aux plus jeunes d’entre nous, et pourtant le Docteur Pierre Massabie a joué un rôle significatif dans la diabétologie française. Il m’a semblé que sa disparition méritait d’être portée à la connaissance de tous dans cette société dont il a été membre depuis ses tous débuts et jusqu’à la fin de sa vie.

La carrière du Docteur Pierre Massabie s’est faite hors des chemins battus ; elle a été menée avec ténacité et créativité, parfois dans l’indifférence voire l’hostilité de l’establishment hospitalo-universitaire, mais souvent avec la considération voire le respect d’autres, dont je suis.

Pierre Massabie est un pur produit du sud-ouest français. Né dans le Lot en 1923, il a fait l’essentiel de sa carrière à Pau. Il a choisi de tracer sa voie de façon originale en créant très tôt, dans les années cinquante, une structure unique et privée : une clinique, la clinique Princess, lieu d’hospitalisation exclusivement dédié aux patients diabétiques, où pendant les premières années il avait élu domicile au milieu de ses patients. Leur recrutement s’est fait d’abord localement, puis au niveau du département, de la région, et, au fil des années, de toute la France, y compris des départements d’outre-mer et des pays du Maghreb. Il y a mis en place des programmes de prise en charge poly-disciplinaires et d’éducation thérapeutique à un moment où cette approche n’existait que très rarement ou pas du tout dans les centres hospitalo-universitaires ; il a été, à cet égard, indiscutablement un précurseur. Très lié à ses patients, qui lui vouaient une fidélité sans failles, il a créé une association de patients diabétiques, la Ligue des Diabétiques de France (LDF), reconnue d’utilité publique dans les années soixante-dix. C’est dans ce cadre qu’il a lié des relations professionnelles et amicales avec les médecins de l’AJD et d’une association de diabétiques créée à l’hôpital Henri Mondor de Créteil par le Professeur Léon Perlemuter (qui vient lui aussi de nous quitter ; décès sur lequel nous reviendrons dans ces pages) ; au moment où le Docteur Pierre Massabie a pris sa retraite définitive, un des patients de cette dernière association de Henri Mondor est d’ailleurs devenu le dernier président de la LDF, Monsieur Claude Sokolowsky.

Nous sommes nombreux à garder en mémoire la haute stature de cet homme toujours d’une élégance toute britannique (il aimait à rappeler que l’Aquitaine a été longtemps une province anglaise et Hossegor, la ville où il avait une maison de campagne, la ville des horse guards), dont on sentait la curiosité frémissante dissimulée derrière une discrétion absolue, voire muette ; il assistait à tous les congrès et réunions de diabétologie, dont il rapportait fidèlement ou, plus exactement, filtrait au prisme de sa personnalité les nouveautés, les faits saillants, les avancées thérapeutiques. Il a d’ailleurs créé pour diffuser ses points de vue un petit journal (petit par le format), « Diabète et Nutrition », très attendu par le monde médical qu’il gratifiait d’une édition augmentée et spécifique, et par les patients auxquels la revue était essentiellement destinée. Le Docteur Pierre Massabie était un interlocuteur écouté de l’industrie pharmaceutique ; il faisait souvent des révélations tirées de ses conversations dans sa revue, dans les rubriques « Le PIF (Paysage de l’Insulinothérapie Française), le PAF (Paysage de l’Autosurveillance Française), le PAOF (Paysage des Antidiabétiques Oraux en France) » presque aussi attendues que le sont aujourd’hui les révélations de la presse satyrique.

Pierre Massabie était un homme d’action (il l’a prouvé très tôt quand il s’est engagé à l’âge de dix-neuf ans dans la résistance active d’un maquis de la région), humaniste discret mais résolu quand il a créé et soutenu pendant des années une action humanitaire en faveur des diabétiques malgaches, mais aussi entrepreneur efficace, aimant à conduire des voitures rapides, ami fidèle, amoureux de bonne littérature et de bonne chère. Il était également le patriarche d’une famille unie, avec autour de lui son épouse Alice, à qui nous présentons nos condoléances les plus attristées, ses deux enfants, dont sa fille Claire Collat-Parros, qui a longtemps dirigé la clinique Princess, et de ses nombreux petits-enfants qui ont la chance de bénéficier en cet homme d’un modèle de vie ; nous leur présentons également nos sincères condoléances.

 

Professeur Gérard SLAMA