Vous êtes ici

Les Fouquier-Tinville de la Diabétologie

 

Par Michel Marre, Président de la Société Francophone du Diabète
Professeur à l’Université Paris 7,
Chef de service d’endocrinologie-diabète-maladies métaboliques à l’hôpital Bichat-Claude Bernard, Assistance Publique des Hôpitaux de Paris,
Directeur de l’unité INSERM 695 (déterminants génétiques du diabète de type 2 et de ses complications)

et Gérard Raymond, Président de l’Association Française des Diabétiques

 

Le principe moteur de ce tristement célèbre accusateur public était « qu’il vaut mieux quelques innocents exécutés à tort que des coupables en liberté » (1). Philippe Even et Bernard Debré terminent leur carrière en s’inspirant de cet exemple pour condamner diabétologues, médicaments, et (mais ils ne s’en sont pas rendus compte) diabétiques.

Expliquons nous : ils accusent les diabétologues en les accusant soit de collusion avec l’industrie pharmaceutique, soit de mollesse. A propos de quoi ? De la mise sur le marché depuis les années 2000 de médicaments supposés n’apporter rien de plus par rapport à ceux datant des années cinquante, les sulfamides, et la metformine. Ce jugement exécutoire repose sur des niveaux de preuve faibles, voire des erreurs de raisonnement ou de connaissance élémentaires. Premièrement, les deux catégories de médicaments de référence en question ont du attendre (avec l’insuline) 1998 (l’étude UKPDS) pour qu’une étude qui aura duré plus de 10 ans ait pu apporter des preuves de leur efficacité en termes d’événements cliniques ; et encore, beaucoup de données supplémentaires très favorables provenant du suivi de l’étude sont parues en 2008. Ceci illustre bien le fait qu’en diabétologie, il faut plusieurs décennies, et pas seulement quelques mois ou années, pour acquérir des certitudes.

Mais est-ce une raison pour laisser les malades sans soin, et surtout de pas tenter de faire mieux ?
Devons-nous comprendre que ces deux collègues rejettent la notion de recherche, en particulier clinique ? Celle-ci est la suite logique de la démonstration d’une hypothèse, et la transposition de résultats expérimentaux en essais basés sur une méthodologie que les auteurs en question devraient connaître, avec un principe de base appelé équipoise et appliqué dans le développement moderne des médicaments.

Pour prendre l’exemple des thiazolidines-diones (rosiglitazone, pioglitazone), souvenons-nous que beaucoup reprochaient aux diabétologues l’insuffisance de leurs moyens thérapeutiques à l’aube des années 2000 ; il était donc justifié de tester de nouveaux outils, et de fait les données physiopathologiques étaient très encourageantes.

Au-delà d’une attaque violente reposant sur une méta-analyse dont le niveau de preuve est faible à propos d’un effet putativement négatif de ces médicaments sur le risque coronarien des diabétiques (2), deux essais ont rapporté un effet soit neutre (étude RECORD, (3)), soit favorable (étude PROACTIVE, (4)). Le seul point médicalement important était d’utiliser ces médicaments avec discernement à cause du risque d’insuffisance cardiaque, et certainement pas en première intention. La pioglitazone induit un sur-risque modéré de cancer de la vessie, bien documenté par les médecins de la Caisse d’Assurance Maladie Française. Mais pourquoi donc la France est-elle l’exception parmi des pays développés à avoir d’emblée interdit son utilisation ? Aurions-nous des éléments de jugement inconnus de nos autres collègues européens, ou tenterions-nous de rattraper notre retard intellectuel et technique dans ce domaine en nous posant comme Plus Royalistes que le Roi, à l’instar de ces émigrés Ultras qui criaient d’autant plus fort qu’on ne les avait guère vus sur les champs de bataille ?

Les médicaments du Système Incrétine, inhibiteurs de la DPP4 ou GLP1 agonistes, sont issus d’une recherche pharmacologique basée sur des hypothèses physiopathologiques fortes. Aucun signal négatif majeur n’est visible aujourd’hui. Les essais de morbi-mortalité sont en cours et la pharmacovigilance s’exerce. Nos Fouquier-Tinville veulent-ils trucider à priori des médicaments qui offrent des moyens supplémentaires pour réduire l’hyperglycémie, source démontrée de complications infectieuses, vasculaires, rénales, visuelles et de mort prématurée ? Si jamais nos deux collègues devenaient diabétiques eux-mêmes, je les invite à tester les joies des effets digestifs de la metformine (10% des cas) et des hypoglycémies possibles sous sulfamides ou insuline. A moins qu’ils ne préfèrent subir une polyurie osmotique, source d’inconfort, de déshydratation, voire de mort prématurée.

Le recours aux mesures hygéno-diététiques proposé par nos collègues comme la panacée nous gène à plusieurs titres. Ils affirment dogmatiquement que surpoids et résistance à l’insuline sont la cause du diabète de type 2. C’est faux : il suffit de réunir une centaine de personnes de surpoids égal pour se rendre compte que seule une minorité (30-40%) est diabétique. Il y a donc quelque chose qui ne marche pas bien dans la sécrétion de l’insuline qui est cause de diabète chez ces personnes. Même si les mesures d’hygiène de vie sont indispensables, elles ne sont pas suffisantes.

Plus grave est la façon dont les choses sont exprimées : le ton est moralisateur et contempteur. Ces médecins se permettraient-ils donc de juger, voire condamner les patients plutôt que de les soigner ? Confondraient-ils morale et soin ? Les Diabétiques apprécieront à leur juste mesure ces propos et l’Association Française des Diabétiques réagit avec colère devant une telle attitude et des conseils au public potentiellement dangereux reposant sur de telles inexactitudes.

Terminons sur le diabète dit de type 1, insulino-dépendant. Nos deux collègues affirment que c’est une maladie auto-immune qui détruit les cellules produisant de l’insuline (c’est vrai) et que le traitement repose sur les médicaments immuno-suppresseurs, et ils citent notre collègue Lucienne Chatenoud, excellente immunologiste. Mais l’on sait, hélas, depuis presque trente ans maintenant qu’une immuno-intervention au début d’un tel diabète n’a que des effets transitoires, et que la route est longue avant de transposer des préventions primaires chez le rongeur à des interventions secondaires chez l’homme. Où est la rigueur méthodologique dans de tels propos ?

 

Références

(1)  Antoine Fouquier de Tinville, Wikipedia encyclopédie

(2)  Nissen SE, Wolski K : Effect of rosiglitazone on the risk of myocardial infarction and death from cardiovascular causes. N Engl J Med, 2007, 356 : 2457_71
doi: 10.1056/NEJMoa072761

(3) Home PD, et al : Rosiglitazone evaluated for cardiovascular outcomes in oral agent combination therapy for type 2 diabetes (RECORD): a multicentre, randomized, open-label trial, Lancet, 2009, 373 : 2125-35
doi: 10.1016/S0140-6736(09)60953-3

(4) Dormandy JA et al : Secondary prevention of macrovascular events in patients with type 2 diabetes in the PROactive Study (PROspective pioglitAzone Clinical Trial In macroVascular Events): a randomised controlled trial. Lancet, 2005, 366 : 1279-89
doi: 10.1016/S0140-6736(05)67528-9