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Où va l'hôpital public ?

 

Par le Pr. André Grimaldi
Service de Diabétologie - Métabolisme
Groupe Hospitalier PITIE - SALPETRIERE, PARIS

 

L'hôpital public est au carrefour de quatre crises: de démographie, d'adaptation, de financement, de «pouvoir médical». La crise démographique est le résultat d'un consensus national, qui a conduit à renforcer et prolonger un numerus clausus, passant en 20 ans de 8 500 à 3 500 médecins formés par an. La sécurité sociale a financé des départs en retraite anticipée de médecins généralistes âgés de moins 57 ans, jusqu’en 2003!

La deuxième crise est une crise d'adaptation. Notre système doit en effet s'adapter en permanence aux progrès de la médecine, à l'évolution des besoins de la population, aux changements des modes d'exercice professionnel. L'adaptation doit se faire dans trois directions :

  1. la constitution de plateformes lourdes techniques et humaines, nécessitant des regroupements de moyens, une répartition sur le territoire, et la constitution de filières de soins cohérentes

  2. la refonte de la médecine de premier recours devant devenir multi-professionnelle

  3. la prise en charge des pathologies chroniques évolutives et le développement des soins ambulatoires et à domicile nécessitant le développement de l'éducation thérapeutique et l'accompagnement des patients.

La troisième crise est une crise financière, puisque les dépenses de santé croissent plus vite que le PIB (Produit Intérieur Brut). Si la France est en deuxième position, consacrant 11 % de son PIB à la santé (USA 16,5 %) en valeur absolue elle est au sixième rang, avec une dépense par an et par habitant de 3601 dollars, juste devant l'Allemagne avec 3 588, loin derrière les USA avec 7 290. La part de lhôpital dans la consommation des soins et des biens médicaux (CSBM), a diminué de 1995 à 2008 de 50 à 44 %. Dans le même temps, les consultations aux urgences ont augmenté de 9 à 18 millions par an. Les dépenses de santé nécessitent donc une régulation. La France a un système mixte, sans réelle régulation pour la médecine de ville, mais avec une régulation des coûts hospitaliers depuis 1983, d'abord par la mise en place du budget global pour chaque hôpital, puis à partir de 1995 par l'adoption par le parlement de lONDAM (Objectif National des Dépenses dAssurance Maladie) sorte de budget global national. En 2011, l'augmentation de l'ONDAM est limitée à 2.8 % tandis que la charge des hôpitaux augmentera de 3.05 % si bien que leur déficit est quasiment programmé. La répartition du budget global national se fait depuis 2004 essentiellement par la tarification à l'activité. Or celle-ci n'est pas adaptée à la prise en charge de pathologies chroniques et/ou complexes ainsi qu'aux urgences ou aux pathologies très graves. Les effets pervers de la T2A, bien connus, auraient dû être compensés par d'autres modes de financement tels que le prix de journée (par exemple pour les soins palliatifs) et le budget global (par exemple pour les pathologies chroniques). Le recours au tout T2A relève en réalité d'un choix idéologique visant à développer « l'hôpital entreprise » en y transférant les principes de la gestion privée. Si en Allemagne cette politique a entraîné une privatisation de nombreux hôpitaux publics y compris des CHU, en France cette politique se fait pas à pas. L'ultime étape devrait être la convergence tarifaire public / privé fixée pour 2018, supposant à terme un changement de statut des hôpitaux avec l'adoption du droit privé pour la gestion du personnel et la possibilité de déposer le bilan en cas de faillite.

La quatrième crise est celle du pouvoir médical, expliquant que la communauté médicale n'ait pas élaboré la réforme de 2009 dite « loi Bachelot » souhaitée par le SNCH (Syndicat National des Cadres Hospitaliers) mais lait subie, contrairement à la grande réforme de 1958 créant les CHU (loi Debré). Le pouvoir est passé des mains des médecins à celles des « managers », tandis que le marché de la santé est de plus en plus ouvert aux assureurs privés et que les inégalités d'accès à des soins de qualité s'accroissent.