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Diabète de type 2 : faut-il revoir nos objectifs glycémiques?

 

Par le Pr. Bernard Charbonnel
Université de Nantes

 

Chacun sait le résultat décevant, pour la prévention des complications cardio-vasculaires comme pour la prévention des complications microvasculaires (sauf l'albuminurie), des grandes études d'événements, qui devraient nous servir de base factuelle pour déterminer les objectifs de traitement pour les années 2010.

Si on regarde les données des méta-analyses effectuées à partir de ces grandes études, qui portent sur près de 150 000 patients/années de traitement, il apparaît qu'un strict contrôle glycémique (pendant 5 ans) :

  • réduit le risque coronarien, de 15 % par point d'HbA1c.
  • est sans effet sur le risque d’AVC.
  • est sans effet sur la mortalité (mais hétérogénéité : effet neutre dans ADVANCE et UKPDS, risque augmenté dans ACCORD et VADT)
  • augmente le risque d’hypoglycémie sévère, plus que doublé par rapport à un traitement standard.

Si on regarde, dans ces méta-analyses, les sous-groupes, il y a une tendance pour un bénéfice cardio-vasculaire d'un traitement intensif chez les patients qui ne sont pas trop déséquilibrés, chez les patients en début de diabète, et chez les patients non compliqués. C'est un peu ce que suggère le résultat du suivi des patients de l'UKPDS, avec le concept de « mémoire glycémique » : Le bénéfice cardio-vasculaire d’un bon contrôle glycémique nécéssite du temps…Traiter tôt va se traduire par un bénéfice (infarctus du myocarde – mortalité) mais 10 à 20 ans plus tard..., ce qui relativise l'intérêt d'une thérapeutique intensive chez les patients âgés.

L'analyse détaillée des données permet de dégager quelques points importants pour la pratique clinique :

  • L'hypoglycémie est un marqueur de risque de mortalité, autrement dit l'hypoglycémie est un facteur prédictif de morbi-mortalité mais elle n'est pas un facteur de risque, elle n'est pas la cause de mortalité, sauf cas individuels.
  • Un sous-groupe particulier de patients à haut risque, à la fois d'hypoglycémie sévère et de mortalité, a été identifié : les patients dont l'HbA1c est élevée et qui résistent à l'intensification du traitement.

Ce sont les mêmes patients, HbA1c élevée à l'entrée dans l'étude et HbA1c qui reste élevée malgré l'intensification du traitement, ceux chez qui on va « pousser les traitements » en empilant les classes thérapeutiques pour « atteindre l'objectif », ce sont ces patients qui sont à la fois à haut risque d'hypoglycémie sévère et à haut risque de mortalité (lors d'une intensification intempestive des traitements), sans qu'il y ait un lien causal direct entre l'hypoglycémie, marqueur de vulnérabilité, et la mortalité.

  • Les facteurs impliqués dans ce double risque (d’hypoglycémie sévère et de mortalité) associé à une résistance à l’intensification du traitement sont inconnus. Il pourrait s’agir d’une physiopathologie particulière (insulino-résistance?), d’un défaut d’observance, de problèmes comportementaux, des conditions psychosociales, d’anomalies de la fonction cognitive, d’un état dépressif, de co-morbidités qui pourraient interférer avec le traitement antidiabétique et augmenter en parallèle le risque de mortalité…

Cette observation inattendue suggère en tout cas que l’intensification intempestive des traitements anti-diabétiques (du moins ceux disponibles au moment des grandes études : metformine, sulfamides, glitazones, insuline...) n’est pas la bonne solution chez des patients dont l’HbA1c ne diminue pas suffisamment sous un traitement standard.

 

Faut-il finalement revoir nos objectifs thérapeutiques?

Il faut en tout cas, du moins pour l'HbA1c, se garder d'une "valeur cible pour tout le monde" malgré les affinités pour ce type (d'absence) de raisonnement de ce qu'on appelle les recommandations.
En matière de traitements anti-diabétiques, après les grandes études, il n'y a pas que la valeur cible de l'HbA1c, il y a aussi, et peut-être surtout, quels sont les moyens nécessaires pour l'obtenir.

  • Il convient de rappeler qu’il n’y a aucun argument en faveur d’un mauvais contrôle glycémique, avec une HbA1c > 8 - 9%.
  • La discussion porte sur l’intérêt de faire baisser l’HbA1c < 8% et jusqu’où (les grandes études ont comparé 7,5 et 6,5 %).
  • Le principal message : personnaliser le traitement, en particulier chez des patients de plus de 60 ans, avec des complications constituées et/ou qui résistent à un traitement conventionnel.

Plutôt qu’ un empilement excessif des traitements chez les patients qui répondent mal à un traitement standard (mono ou bithérapie orale, insuline à doses raisonnables…) il semble plus avisé :

  • de comprendre les raisons (physiopathologiques ou comportementales) de la résistance au traitement,
  • et d’individualiser le schéma thérapeutique, à la fois la valeur cible d’HbA1c, moins ambitieuse, et les moyens de l’obtenir.

L'essentiel est de faire de la bonne médecine, c'est-à-dire d'adapter la stratégie de traitement, qui n'est d'ailleurs pas que pharmacologique, à chaque personne et à son environnement, autour de ce qui pourrait être le slogan des années 2010: plus tôt probablement, plus fort probablement pas…