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Hypoglycémies sévères : le débat n'est pas tranché

Auteur : 
Pr. Patrice Darmon
QDM - Numéro : 
Le Quotidien du Médecin N°9327
Date parution : 
Jeudi 15 Mai 2014

Facteur ou marqueur de risque de mortalité et d’événement cardiovasculaire, le débat relatif aux hypoglycémies sévères n’est pas tranché. Les hypoglycémies sont délétères elles ne doivent surtout pas être. La stratégie thérapeutique du contrôle glycémique doit être individualisée avec un objectif considérant à la fois le risque d’hypoglycémies et de leurs conséquences et le bénéfice de l’équilibre glycémique renforcé.

 

Au cours du diabète, la survenue d’hypoglycémies est généralement perçue comme « le prix à payer » de la quête d’un contrôle glycémique optimal. L’intensification thérapeutique, dès lors qu’elle fait appel aux sulfamides ou à l’insuline, expose les diabétiques à la répétition d’hypoglycémies modérées et/ou à la survenue d’hypoglycémies sévères (définies comme des épisodes symptomatiques nécessitant l’assistance d’un tiers). Une question cruciale, reste encore largement débattue : les hypoglycémies, en particulier sévères, induisent-elles un risque accru de mortalité et/ou d’événements cardiovasculaires ?

 

Hypoglycémies sévères : une incidence élevée

Les hypoglycémies sévères représentent une cause très fréquente d’admission aux urgences et d’hospitalisation. Même si le risque d’hypoglycémie sévère est plus élevé au cours du Diabète de type 1 (DT1), leur fréquence est loin d’être négligeable dans le Diabète de type 2 (DT2). Dans l’étude ENTRED 2007-2010, environ 10 % des DT2déclaraient avoir eu au moins une hypoglycémie sévère dans l’année (contre 40 % des DT1). La fréquence des hypoglycémies sévères chez les patients présentant un DT2ancien, traité par insuline, se rapproche de celle retrouvée chez les DT1, proportionnellement à l’ancienneté du diabète et de l’insulinothérapie, ainsi qu’à l’intensité du traitement. Parmi les autres facteurs associés à un risque accru d’hypoglycémie sévère, citons sans être exhaustif : âge avancé, insuffisance rénale, complicationsmicrovasculaires, faible niveau d’éducation…

Les hypoglycémies sévères peuvent avoir un retentissement immédiat grave (coma, accident…) et pourraient également précipiter la survenue d’un IDM ou d’un AVC, bien que le niveau de preuves soit limité. Il est par contre démontré qu’elles peuvent induire des troubles du rythme cardiaque (allongement du QT, bradycardie sinusale…) et pourraient être impliquées par ce biais dans la physiopathologie du « deadin-bed syndrome » qui survient classiquement chez un jeune patient DT1, indemne de complications, retrouvé mort dans son lit, et expliquerait 4 à 6 % de la mortalité des DT1 avant 40 ans (1). Pour autant, le lien entre hypoglycémies sévères et mortalité totale ou cardiovasculaire n’a jamais été prouvé dans le DT1 (2). À l’inverse, des données issues d’études observationnelles et des grands essais d’intervention (ACCORD,ADVANCE, VADT, ORIGIN) prouvent que la survenue d’hypoglycémies sévères prédit de façon indépendante le risque ultérieur de décès et/ou d’événements cardiovasculaires chez les DT2, même si elle n’explique pas l’excès de mortalité observé dans le groupe contrôle glycémique intensif de l’étude ACCORD (2-4).

 

Causalité ou marqueur de vulnérabilité ?

L’hypothèse d’un lien causal entre hypoglycémie et événement cardiovasculaire est étayée par différentes données expérimentales révélant qu’au-delà de ses effets arythmogènes liés à une décharge brutale de catécholamines, l’hypoglycémie pourrait induire différentes modifications physiologiques (élévation de la PA, stress oxydatif, dysfonction endothéliale…) pouvant contribuer à l’aggravation de l’athérosclérose (6). Pour autant, il n’existe pas à ce jour de preuve formelle du lien de causalité entre hypoglycémie sévère et morbimortalité cardiovasculaire. Plusieurs éléments font douter d’une relation de causalité, comme par exemple le caractère dissocié dans le temps de l’hypoglycémie et de l’événement cardiovasculaire (plus d’un an dans ADVANCE par exemple) ou le fait que les hypoglycémies sévères soient aussi significativement liées au risque de maladies dermatologiques, digestives ou respiratoires. Le lien entre hypoglycémies sévères et mortalité totale ou cardiovasculaire pourrait ainsi être le fait d’une plus grande vulnérabilité. Dans ACCORD et dans ADVANCE, la relation entre hypoglycémies sévères et mortalité est plus forte dans le groupe contrôle que dans le groupe traitement intensif du diabète ; dans ORIGIN, le lien entre hypoglycémies sévères et événements cardiovasculaires est également plus fort dans le groupe contrôle (4). Ceci est à rapprocher de résultats retrouvés en USIC ou en réanimation, montrant que le lien entre hypoglycémies sévères et mortalité est surtout retrouvé… lorsque l’insuline n’est pas utilisée, suggérant que les hypoglycémies chez ces patients sont surtout le marqueur d’état général précaire (7-8). Ainsi, les hypoglycémies prévisibles semblent avoir moins de conséquences cardiovasculaires que celles survenant de façon inopinée, traduisant une situation de vulnérabilité extrême en raison de pathologies sous-jacentes connues ou méconnues (insuffisance rénale, hépatique, dénutrition…).

 

Références

* Endocrinologie, nutrition et maladies métaboliques, Hôpital Nord, Marseille.

(1) Halimi S. MMM 2013 ;7:178-84
(2) Bloomgarden ZT et al. Front Endocrinol 2012 ;3:66
(3) Goto A et al. BMJ 2013 ;347:f4533 doi:10.1136/bmj.f4533
(4) ORIGIN Trial Investigators. Eur Heart J2013 ;34:3137-44
(5) Gruden G et al. Diabetes Care 2012 ;35:1598-1604
(6) Hanefeld M et al. Cardiovasc Diabetol 2013 ;1:135
(7) Kosiborod M et al, JAMA 2009 ;301:1556-64
(8) NICE-SUGAR Study Investigators. N Engl J Med 2012;367:1108-18