Vous êtes ici

Médicaments antidiabétiques : le débat concernant les incrétines

Auteur : 
Pr André Scheen
QDM - Numéro : 
Le Quotidien du Médecin N°9248
Date parution : 
Samedi 01 Juin 2013

Dernière classe d’antidiabétiques, les incrétines sont des incrétinopotentiateurs ou des incrétinomimétiques. Ces médicaments font actuellement l’objet de débat, pour des raisons de coût – notamment depuis que l’HAS les a placés en 3e ligne seulement, contrairement au statement ADA-EASD – de positionnement d’une classe incrétine par rapport à l’autre, de manque de démonstration actuelle (malgré certains espoirs) de protection vis-à-vis des complications diabétiques et, enfin, de doute quant à leur sécurité d’emploi (complications pancréatiques ?). Le Pr. André Scheen (Liège), vice-président de la SFD, fait le point à ce sujet.

 

Les deux types de médicaments à effet incrétine.

Le patient avec un diabète de type 2 (DT2) se caractérise par une moindre réponse insulinique suite au repas. Ce défaut peut être corrigé en inhibant la dégradation du GLP-1 endogène grâce au blocage de l’enzyme DPP-4 qui l’inactive (gliptines : sitagliptine, vidagliptine, saxagliptine, linagliptine, alogliptine), soit en injectant un analogue du GLP-1 résistant à la DPP-4 mais mimant l’action du GLP-1 endogène (exénatide, liraglutide, lixisénatide), soit deux types de médicaments incrétine.

 

Les critères de choix pour l'un ou l'autre traitement incrétine.

Chaque type d’approche a des avantages et des inconvénients par rapport à l’autre (3). Les gliptines sont actives par voie orale, mieux tolérées et moins onéreuses. Les analogues du GLP-1 doivent être injectés par voie sous-cutanée, occasionnent davantage de troubles digestifs (nausées, vomissements) et sont plus coûteux ; par contre, ils réduisent plus nettement le taux d’HbA1c d’où, sans doute, l’orientation préférentielle suggérée par l’HAS si l’HbA1c dépasse l’objectif de plus de 1 % (1). Ils favorisent l’amaigrissement (alors que les gliptines ont une neutralité pondérale) et abaissent la pression artérielle. Dès lors, généralement, les analogues du GLP-1 sont positionnés à un stade plus avancé de la maladie diabétique et seront préférés lorsqu’une perte de poids est un objectif important et/ou lorsqu’une réduction marquée du taux d’HbA1c est requise.

 

Les avantages démontrés par rapport aux sulfamides ou à l'insulinothérapie.

Les gliptines offrent plusieurs avantages par rapport aux sulfamides. De nombreux essais cliniques contrôlés en double aveugle ont démontré une moindre prise de poids et une nette diminution du risque hypoglycémique, pour une même amélioration du contrôle métabolique. Par ailleurs, les gliptines n’exigent pas de titration posologique et peuvent être utilisées même en cas d’insuffisance rénale (2). De même, les analogues du GLP-1 offrent des avantages par rapport à une insulinothérapie. Ils sont d’utilisation plus aisée, ne nécessitent pas de titration posologique complexe en fonction des résultats d’une autosurveillance glycémique, n’exposent pas à un risque accru d’hypoglycémie (notamment sévère) et engendrent une perte de poids, contrairement à l’insuline qui provoque généralement un gain pondéral (2).

 

Les avantages escomptés à confirmer.

Les traitements traditionnels sont confrontés à deux échecs majeurs. Tout d’abord, ils n’empêchent pas la détérioration progressive du contrôle glycémique au cours du temps. Ensuite, ils n’évitent pas un risque résiduel important de complications, notamment sur le plan cardiovasculaire. Les médicaments incrétines pourraient offrir un avantage sur ces deux plans. De grands essais cliniques, d’une durée de 3 à 4 ans, sont en cours visant à démontrer la sécurité d’emploi et la protection cardiovasculaire des médicaments incrétines (4). Au total, plus de 60 000 patients participent à ces essais contrôlés, ce qui donnera une expérience inégalée en termes de médecine factuelle dans le DT2.

 

Les risques éventuels des médicaments incrétines.

Des doutes ont été émis quant à un risque d’atteinte du pancréas exocrine (pancréatite aiguë, cancer du pancréas). Les données disponibles dans les essais cliniques et dans les études observationnelles sont cependant rassurantes. En revanche, des rapports de cas, notamment à la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis, évoquent un risque accru de pancréatite et de cancer du pancréas avec l’exénatide et la sitagliptine par rapport aux antidiabétiques traditionnels. Ces résultats sont néanmoins exposés à des biais évidents, surtout depuis la mise en garde de la FDA (5).

 

L’évaluation pharmaco-économique des médicaments incrétines.

Comme le coût des médicaments incrétines est supérieur à celui des anciens antidiabétiques, la question est donc de savoir si ce surcoût est justifié sur le plan pharmacoéconomique. La HAS considère que le surcoût (combiné aux incertitudes persistantes) justifie de positionner les médicaments incrétine en 3e ligne (1). Cela dit, comme recommandé dans le statement ADA-EASD, il convient de tenir compte de tous les facteurs (pas uniquement le coût du médicament stricto sensu), comme, par exemple, le risque d’hypoglycémie (sévère) ou l’effet sur le poids. Cette vision plus large permet de mieux personnaliser le traitement pharmacologique en fonction des caractéristiques de chaque patient.

 

Références

(1) Haute Autorité de Santé. Recommandation de bonne pratique 2013.
(2) Inzucchi SE et al. Diabetologia 2012;55:1577-96.
(3) Scheen AJ. Ann Endocrinol 2013 ;Apr 6. doi:pii: S0003-4266(13)00018-8. 10.1016/j.ando.2012.06.002. [Epub ahead of print]
(4) Scheen AJ. Nature Cardiol Rev 2013;10:73-84.
(5) Scheen AJ. Expert Opin Drug Saf 2013 Apr 27. [Epub ahead of print]Botros N et al. Am J Med 2009;122:1122-7