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Hypoglycémies sévères : un impact médico-économique important

Auteur : 
Pr. Patrice Darmon
QDM - Numéro : 
Le Quotidien du Médecin N°9411
Date parution : 
Lundi 11 Mai 2015

En dépit de certaines limites méthodologiques, et au-delà de la variabilité des résultats selon les pays et les populations analysées, les études actuellement disponibles illustrent bien l’impact financier substantiel des hypoglycémies sévères. Il est plus que jamais nécessaire de conduire des actions d’éducation et de prévention de celles-ci au sein du parcours de soins du patient diabétique.

 

Les hypoglycémies sévères (HS) – nécessitant l’assistance d’un tiers – représentent un problème majeur dans la prise en charge des patients diabétiques traités par sulfamides, glinides ou insuline. Au-delà de leurs conséquences médicales avérées (neurologiques, traumatologiques) ou supposées (cardiovasculaires), ces épisodes iatrogènes constituent une source importante d’anxiété pour les patients et leur entourage, altèrent la qualité de vie, induisent des stratégies d’évitement (moindre observance, grignotage, inactivité) et peuvent devenir un frein à l’intensification thérapeutique et à l’obtention d’un équilibre glycémique optimal. Ces dernières années, de nombreuses études sont venues illustrer la fréquence élevée des HS lors du diabète de type 1 (DT1) mais également de type 2 (DT2). En France, les résultats récents de l’étude multicentrique observationnelle DIALOG relèvent que 13,4% des DT1 et 6,4% des DT2 sous insuline présentent au moins une HS au cours d’un seul mois de suivi (1).

Les HS ont un impact médico-économique substantiel, à la fois en termes de coûts directs liés à la prise en charge de l’épisode aigu (services de secours, séjour aux urgences, hospitalisation, etc) et de coûts indirects, que ce soit à court (arrêts de travail, baisse de la productivité) ou à long terme (renforcement de l’autosurveillance glycémique et du suivi infirmier et/ou médical, frein à l’intensification thérapeutique avec majoration du risque de complications) (2).

Ces dernières années, quelques études médico-économiques, principalement issues des pays anglosaxons ou scandinaves, ont permis de mieux évaluer l’importance de ces coûts (3-5). Les résultats varient sensiblement selon les pays et leur système de santé, mais aussi selon la population d’analyse, le lieu et le type de prise en charge, la nature, la source et le tarif unitaire des items recueillis ou la modélisation utilisée pour le calcul. Toutes ces études s’accordent pour conclure à une sous-évaluation de la fréquence et du coût des HS, pour des raisons liées à des problèmes de traçabilité dans les registres ou aux limites du recueil des données par questionnaire d’une part, et aux incertitudes des estimations financières, notamment pour les coûts indirects, d’autre part.

En France, l’analyse des bases PMSI en 2012 a permis d’identifier 27 218 hospitalisations (concernant 23 470 patients diabétiques) avec codage HS (90 % à l’hôpital public ; durée moyenne 8,1 jours) : le coût moyen de ces séjours était de 4254 € (2953 € si l’HS est codée en diagnostic principal ; 5 340 € en diagnostic associé) et leur coût annuel estimé à 116 000 000 € (soit 1,7 % des coûts totaux liés au diabète) (6).

Aux États-Unis, on recense 248 000 hospitalisations de patients diabétiques avec un codage HS et une durée moyenne de 7,8 jours, pour un coût moyen de 50 000 $ par séjour et un coût annuel évalué à 13 milliards $ par an (dont 12 milliards $ pour les DT2) (7). Une revue présentée cette année a évalué les coûts moyens d’une HS ne nécessitant pas d’intervention médicale à 242 $ et ceux nécessitant une intervention médicale à 1 740 $ ; sur ces sommes, les coûts indirects étaient évalués (pour le DT2 uniquement) à 176 et 579 $ (8).

En France, nous disposons des résultats de deux études récentes. La première, présentée au cours du congrès de la SFD 2013, est une étude observationnelle rétrospective visant à définir la fréquence et l’impact financier de la prise en charge des HS survenues dans l’année 2010 chez les DT2 du bassin de Grenoble, à partir des données d’interventions du SAMU et des pompiers ainsi que des admissions aux urgences du CHU et dans les établissements de proximité. Les auteurs ont recensé 105 épisodes en 2010, survenus chez 99 patients (0,48 %/patient/an ; âge moyen 73 ans, traitement par insuline dans 65 % des cas, hospitalisation dans 61 % des cas), et ont estimé le coût direct à 4 978 € par épisode, soit 23,70 € par patient DT2 et par an. En extrapolant au territoire national, cela pourrait représenter 25 000 HS et 125 millions € par an (9).

La seconde, présentée lors du congrès de la SFD 2015, est une étude multicentrique nationale prospective visant à identifier la fréquence et le coût direct des HS gérées par 9 centres de SAMU ; parmi les 811 patients pris en charge pour HS, 25 % ont été transférés et surveillés aux urgences, et 15 % ont été hospitalisés. Le coût moyen du parcours de soins a été évalué à 2341 € par épisode ; en extrapolant à l’échelon national, les auteurs estiment que cela pourrait représenter 20 000 HS gérées par le SAMU pour un coût total de 47,8 millions € (10). Les estimations issues de l’étude de Grenoble sont plus élevées sans doute parce que l’étude ne concernait que des DT2 plus âgés, plus fragiles, nécessitant bien plus souvent une hospitalisation.

 

Références

(1) Cariou B et al. Diabet Metab 2015
(2) Fidler C et al. J Med Econ 2011
(3) Hammer M et al. J Med Econ 2009
(4) Jonsson L et al. Value Health 2006
(5) Ward A et al. J Med Econ 2014
(6) Torreton E et al. ISPOR Annual Congress 2013
(7) Singh G et al. ADA Annual Congress 2013
(8) Foos V et al. J Med Econ 2015
(9) Halimi S et al. Congrès annuel de la SFD 2013
(10) Chevalier N et al. Congrès annuel de la SFD 2015